Bien qu’il soit difficile de l’imaginer aujourd’hui, en 1962, un Boeing de la compagnie Air France s’est crashé à moins de 800 mètre de Piton Bungalows. Second plus gros crash d’Air France après Paris-Rio, il reste toujours aujourd’hui peu connu. Gravé dans la mémoire des anciens du village, ce malheureux accident à donné lieu à plusieurs théories sur son origine qui reste encore aujourd’hui un mystère. Déclassifiées il y a moins d’un an, les documents de l’époque nous permettent aujourd’hui de savoir un peu plus sur cette histoire tenue secrète depuis plus de 60 ans.
Le 22 juin 1962 aux alentours de minuit, le Boeing 707-328 de la compagnie Air France décolle de Paris Orly, il a pour habitude de relier la France à l’Amérique du Sud et de faire un arrêt à Pointe à Pitre. L’avion est presque neuf, livré à Air France moins de 4 mois auparavant, il a été inspecté une semaine plus tôt, les conditions sont parfaites pour André Lesieur, le commandant de bord. André est un des pilotes les plus expérimentés de la compagnie, décoré de la seconde guerre mondiale, il totalise plus de 15 000 heures de vol et il a même plusieurs fois par le passé, transporté le Général De Gaulle lors de ses déplacements historiques en Amérique du Nord. A cette heure, toutes les conditions sont optimales et rien ne laisse présager que l’impossible pourrait arriver.
Vers minuit, l’avion approche de l’aéroport du Raizet en Guadeloupe, les conditions météorologiques sont orageuses, avec des vents entre 50 et 70 km/h mais rien d’inhabituel pour un avion de cette taille préparé pour des longs courriers périlleux. Après une tentative d’atterrissage manqué, l’avion fait selon la procédure un virage à gauche et annonce à la tour de contrôle que l’aéronef est à une altitude de 1500 mètres. Quelques minutes plus tard, l’avion s’écrase sur une montagne à 400 mètres d’altitude, sur la commune de Deshaies à 23 kilomètres de l’aéroport dans l’incompréhension totale.
Les pannes évoquées sont incompréhensibles, on parle du système de guidage magnétique de la tour de contrôle et d’une panne de train d’atterrissage de l’avion qui aurait empêché la première approche, mais rien de tout cela ne justifie la gravité du drame qui vient de se produire.
Le Boeing vient de se cracher sur un piton recouvert de forêt loin des habitations, tuant sur le coup les 103 passagers et les 10 membres d’équipages. Sous cette nuit orageuse, ce bruit monstrueux fait comprendre aux villageois de Deshaies qu’il s’agit d’une chose plus terrifiante qu’un coup de tonnerre.
Le sauvetage commencera laborieusement car le site du crash est très escarpé et inaccessible, avec les moyens de l’époque, la population vient au secours de cette désolation, la route qui mène au site aujourd’hui appelée « route du Boeing » à d’ailleurs été créée afin de pouvoir y accéder plus facilement.
Même si nous savons comment le Boeing s’est crashé, il est aujourd’hui légitime à la vue de ces incohérences de se demander pourquoi.
En effet, l’avion transportait deux figures politiques indépendantistes, Mr Albert Béville et Mr Justin Catayé, l’histoire ne fait que s’épaissir à partir de ce moment. Le contexte est lourd en France, la fin de la guerre d’Algérie et sont indépendance ont été signés à peine 2 mois avant l’accident, la tension entre la France et ses anciennes colonies est à son comble, l’État sait que son image doit rester solide, un crash de la compagnie nationale est alors un obstacle de plus à leur réussite et la commission d’enquête va tenter de disculper la responsabilité de la France du mieux qu’elle le peut.
Albert Béville, militant indépendantiste acharné était d’ailleurs interdit de séjour aux Antilles pour ne pas influencer la révolte de la population locale, il réussit à déjouer la sécurité de l’aéroport à Paris pour monter dans l’avion. Justin Catayé quant à lui, était sur ce vol car il était attendu en Guyane pour une manifestation prévue le 25 Juin afin de se mobiliser contre l’interdiction par les légionnaires Français d’une session parlementaire dont le but était d’accorder un statut spécial d’autonomie et de gestion pour la Guyane.
Quelques jours après l’accident, l’état tente à tout prix de rejeter au maximum la faute sur la responsabilité du pilote, elle tente de convenir au fait que malgré les nombreux soucis techniques rencontrés par l’avion et l’aéroport au sol, ses manœuvres ont été l’élément déterminant du crash. Le pilote bien qu’extrêmement expérimenté, ne pourra malheureusement jamais répondre à ces accusations.
Les faits qui accusent l’état sont pourtant lourds, défaillance de la balise de la tour de contrôle, aéroport peu préparé pour les avions de cette taille, nombreux soucis techniques sur ces avions américains, bien qu’accablants, la responsabilité du pilote est tout de même reconnue comme le problème majeur de ce désastre, de ce fait, les familles des victimes ne seront jamais indemnisées.
Après avoir tenté de faire valoir le rapport de la commission d’enquête en sa faveur en vain, l’état décide de classer l’affaire « Secret Défense » mettant en échec tout espoir de vérité pour les 60 années à venir. Le rapport de la commission d’enquête de 2022 après la dé-classification des dossiers convient également à une faute de l’état concernant les conclusions, mais plus d’un demi siècle plus tard, peu sont les gens qui se souviennent de ce 22 juin 1962 et peu sont ceux qui ont encore la force de se battre pour la vérité.
Défaillance technique, erreur de pilote, attentat ou rien de tout ça ? Le mystère restera entier. Une chose est sûre, lors de la commémoration annuelle du crash, le nombre des élus présents est quant à lui assez étonnant par son nombre, comme si il s’agissait de l’enterrement d’une personne qui avait encore des secrets à révéler.
Sources :
RAPPORT de la Commission d’information et de recherche historique sur les événements de décembre 1959 en Martinique, de juin 1962 en Guadeloupe et en Guyane, et de mai 1967 en Guadeloupe :